La Fiscalité du Plan d’Épargne Retraite dans le cadre d’un Plan d’Épargne Entreprise

La mise en place du Plan d’Épargne Retraite (PER) suite à la loi PACTE de 2019 a transformé le paysage de l’épargne-retraite en France. Dans le contexte professionnel, l’articulation entre le PER et le Plan d’Épargne Entreprise (PEE) soulève des questions fiscales majeures pour les salariés comme pour les employeurs. Ce sujet mérite une attention particulière car les choix effectués en matière d’épargne retraite au sein de l’entreprise ont des répercussions fiscales significatives à court, moyen et long terme. Nous analyserons les mécanismes fiscaux qui régissent ces dispositifs, leurs interactions, et les stratégies d’optimisation possibles pour les différents acteurs concernés.

Fondamentaux du PER et du PEE : cadre juridique et fiscal

Le Plan d’Épargne Retraite et le Plan d’Épargne Entreprise constituent deux dispositifs distincts mais complémentaires dans l’univers de l’épargne salariale. Pour appréhender leur fiscalité croisée, il convient d’abord de comprendre leurs caractéristiques respectives.

Le PER, créé par la loi PACTE, se décline en trois versions : le PER individuel (successeur du PERP et du contrat Madelin), le PER d’entreprise collectif (PERCOL, remplaçant le PERCO) et le PER d’entreprise obligatoire (PERO, successeur des contrats « article 83 »). Ces produits partagent une structure commune avec trois compartiments dédiés aux versements volontaires, à l’épargne salariale et aux versements obligatoires.

Parallèlement, le PEE est un dispositif plus ancien permettant aux salariés d’épargner avec l’aide de leur entreprise, avec une durée de blocage minimale de cinq ans (sauf cas de déblocage anticipé). Sa fiscalité présente des avantages notables, notamment l’exonération d’impôt sur le revenu des plus-values réalisées (hors prélèvements sociaux).

D’un point de vue juridique, ces deux dispositifs sont encadrés par le Code monétaire et financier et le Code des assurances. Le Code général des impôts régit quant à lui leur traitement fiscal, avec des articles spécifiques dédiés à l’épargne retraite et salariale.

Comparaison des cadres fiscaux généraux

Les régimes fiscaux du PER et du PEE présentent des différences fondamentales :

  • Le PER fonctionne généralement selon le principe de la déductibilité fiscale à l’entrée et de l’imposition à la sortie
  • Le PEE ne permet pas de déduction fiscale des versements mais offre une exonération fiscale des gains à la sortie (hors prélèvements sociaux)

Cette distinction est capitale pour comprendre l’articulation entre ces deux dispositifs. Le législateur a prévu des passerelles entre eux, notamment la possibilité de transférer des sommes du PEE vers le PER d’entreprise, avec des conséquences fiscales spécifiques.

La jurisprudence fiscale a progressivement clarifié certains aspects de cette interaction, notamment concernant le traitement des transferts et les modalités d’application des plafonds de déduction. Les arrêts du Conseil d’État et les décisions de la Cour de cassation ont contribué à préciser l’interprétation des textes dans des situations complexes.

Pour les entreprises, la mise en place de ces dispositifs implique des obligations déclaratives précises auprès de l’administration fiscale. Les versements effectués dans le cadre de l’abondement du PEE ou des contributions employeur au PER doivent faire l’objet d’un suivi rigoureux pour garantir leur traitement fiscal optimal.

Fiscalité des versements sur le PER dans le contexte de l’épargne entreprise

La fiscalité appliquée aux versements sur le PER varie considérablement selon leur origine et le compartiment qui les accueille. Cette diversité prend tout son sens dans le cadre de l’entreprise, où plusieurs sources d’alimentation coexistent.

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Les versements volontaires effectués par le salarié sur son PER peuvent être déduits de son revenu imposable, dans la limite des plafonds définis par l’article 163 quatervicies du Code général des impôts. Ce plafond annuel correspond au plus élevé des deux montants suivants : 10% des revenus professionnels de l’année précédente (limités à 8 PASS) ou 10% du PASS de l’année précédente. Pour 2023, avec un PASS fixé à 43 992 euros, ce plancher s’établit donc à 4 399,20 euros.

Cette déductibilité constitue un avantage fiscal majeur, particulièrement pour les salariés fortement imposés. Toutefois, elle engage à une imposition ultérieure lors de la sortie en capital, selon le barème progressif de l’impôt sur le revenu.

Particularités des transferts du PEE vers le PER

Le transfert de sommes du PEE vers le PER présente des spécificités fiscales notables. Lorsqu’un salarié choisit de transférer des fonds disponibles de son PEE vers son PER d’entreprise, ces sommes sont dirigées vers le compartiment dédié à l’épargne salariale du PER.

Ce transfert n’ouvre droit à aucune déduction fiscale supplémentaire puisque ces sommes ont déjà bénéficié du régime favorable de l’épargne salariale. En revanche, il permet de prolonger l’avantage fiscal en maintenant ces sommes dans un cadre défiscalisé jusqu’à la retraite.

La doctrine administrative, notamment précisée dans le BOFIP (Bulletin Officiel des Finances Publiques-Impôts), détaille les modalités pratiques de ces transferts et leur traitement fiscal. Ces précisions sont essentielles pour les directions des ressources humaines et les gestionnaires de paie qui doivent informer correctement les salariés.

Pour l’entreprise, les versements qu’elle effectue sur le PER collectif de ses salariés (abondement) sont exonérés de cotisations sociales dans certaines limites. Ils restent néanmoins soumis à la CSG/CRDS au taux de 9,7% et au forfait social (généralement 20%, avec des taux réduits pour certaines PME).

  • Exonération de charges sociales dans la limite de 16% du PASS
  • Déductibilité de l’impôt sur les sociétés pour l’entreprise
  • Assujettissement au forfait social (avec possibilité d’exonération pour les entreprises de moins de 50 salariés)

Ces aspects fiscaux doivent être pris en compte dans la politique de rémunération globale de l’entreprise, car ils peuvent constituer un levier d’optimisation significatif tant pour l’employeur que pour les salariés.

Régime fiscal des sorties du PER issu de l’épargne entreprise

La fiscalité appliquée lors du déblocage des fonds du PER varie significativement selon la nature des sommes épargnées et la forme de sortie choisie. Cette dimension est particulièrement pertinente pour les fonds issus de l’épargne entreprise.

Pour les sommes provenant du compartiment épargne salariale (participation, intéressement, abondement, transferts depuis le PEE), le régime fiscal à la sortie présente des caractéristiques avantageuses. En cas de sortie en capital, seuls les gains sont fiscalisés, et ce uniquement au titre des prélèvements sociaux (17,2%). Le capital initialement investi est totalement exonéré d’impôt sur le revenu, ce qui constitue un avantage considérable par rapport aux versements volontaires.

En cas de sortie en rente viagère, ces mêmes sommes bénéficient du régime fiscal favorable des rentes viagères à titre onéreux. Concrètement, la rente n’est imposable que partiellement à l’impôt sur le revenu, selon un barème dégressif en fonction de l’âge du bénéficiaire au moment de la liquidation :

  • 70% de la rente est imposable si le bénéficiaire a moins de 50 ans
  • 50% entre 50 et 59 ans
  • 40% entre 60 et 69 ans
  • 30% à partir de 70 ans
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Cas de déblocage anticipé

Le législateur a prévu plusieurs cas de déblocage anticipé permettant au titulaire d’un PER de récupérer son épargne avant l’âge de la retraite. Pour les sommes issues de l’épargne salariale, ces cas de déblocage sont particulièrement intéressants puisqu’ils permettent de conserver l’avantage fiscal.

Les principaux cas de déblocage anticipé incluent :

  • L’acquisition de la résidence principale
  • L’expiration des droits à l’assurance chômage
  • Le surendettement
  • La cessation d’activité non salariée suite à une liquidation judiciaire
  • L’invalidité
  • Le décès du conjoint ou partenaire de PACS

Lors d’un déblocage anticipé pour l’acquisition de la résidence principale, les sommes issues de l’épargne salariale conservent leur régime fiscal favorable. Cette possibilité constitue une option stratégique pour les salariés qui souhaitent utiliser leur épargne entreprise pour financer un projet immobilier.

La jurisprudence fiscale a précisé au fil des années la notion de résidence principale et les conditions dans lesquelles ce motif de déblocage peut être invoqué. Les décisions du Conseil d’État ont notamment clarifié la temporalité entre le déblocage des fonds et l’acquisition effective du bien immobilier.

Il convient de noter que la loi de finances peut chaque année modifier certains aspects de cette fiscalité. Les professionnels du conseil en gestion de patrimoine doivent donc maintenir une veille constante sur ces évolutions législatives pour optimiser les stratégies de leurs clients.

Stratégies d’optimisation fiscale entre PER et PEE

La coexistence du PER et du PEE offre aux salariés et aux entreprises de multiples possibilités d’optimisation fiscale. Ces stratégies doivent être élaborées en fonction du profil fiscal du salarié et de ses objectifs patrimoniaux.

Pour les salariés fortement imposés, la déductibilité des versements volontaires sur le PER représente un avantage fiscal immédiat substantiel. Avec une tranche marginale d’imposition (TMI) à 41% ou 45%, l’économie d’impôt peut atteindre près de la moitié des sommes investies. Cette approche est particulièrement pertinente pour les cadres dirigeants ou les salariés en fin de carrière qui anticipent une baisse de leurs revenus à la retraite.

À l’inverse, pour les salariés faiblement imposés (TMI à 11% ou non imposables), privilégier le PEE peut s’avérer plus avantageux. En effet, même si les versements ne génèrent pas d’économie d’impôt immédiate, la sortie en franchise d’impôt sur le revenu après cinq ans constitue un atout majeur. Cette stratégie convient particulièrement aux jeunes salariés qui souhaitent se constituer une épargne accessible à moyen terme.

Arbitrage entre les différents compartiments du PER

Une stratégie d’optimisation avancée consiste à alimenter sélectivement les différents compartiments du PER en fonction de leur traitement fiscal respectif. Pour les sommes issues de l’épargne salariale (participation, intéressement), diriger ces montants vers le compartiment dédié du PER permet de bénéficier d’une exonération fiscale complète sur le capital à la sortie.

Parallèlement, les versements volontaires déductibles peuvent être utilisés pour maximiser l’économie d’impôt immédiate, particulièrement pour les années où le revenu imposable est exceptionnellement élevé (prime, bonus). Cette approche permet de « lisser » la fiscalité sur plusieurs années.

Le pilotage fiscal entre PER et PEE peut être affiné en tenant compte des perspectives d’évolution professionnelle. Un salarié qui anticipe une progression significative de sa rémunération aura intérêt à privilégier le PEE dans un premier temps, puis à accentuer ses versements sur le PER lorsque sa TMI augmentera.

Pour les entrepreneurs et dirigeants d’entreprise, la combinaison de ces dispositifs offre des leviers supplémentaires. La mise en place d’un PER collectif avec un abondement généreux peut constituer un outil de fidélisation des talents tout en optimisant la fiscalité de l’entreprise. L’abondement, déductible du résultat fiscal de l’entreprise et exonéré de charges sociales dans certaines limites, représente une forme de rémunération fiscalement efficiente.

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Les conventions collectives peuvent parfois imposer des versements obligatoires sur le PER d’entreprise. Dans ce contexte, l’optimisation consiste à articuler intelligemment ces contributions obligatoires avec des versements volontaires et l’utilisation du PEE, pour construire une stratégie d’épargne cohérente.

  • Privilégier le PER pour les années à forte imposition
  • Utiliser le PEE pour une épargne à moyen terme (5-10 ans)
  • Combiner les deux dispositifs pour maximiser les avantages employeur (abondements)

Ces arbitrages doivent être régulièrement réévalués en fonction de l’évolution de la situation personnelle et professionnelle du salarié, ainsi que des modifications législatives qui peuvent affecter la fiscalité de ces dispositifs.

Perspectives d’évolution et recommandations pratiques

Le paysage fiscal de l’épargne retraite en entreprise connaît des mutations constantes, influencées par les orientations politiques et les contraintes budgétaires. Plusieurs tendances se dessinent pour l’avenir de la fiscalité du PER dans le cadre de l’épargne entreprise.

Les récentes discussions autour de la réforme des retraites ont mis en lumière la volonté des pouvoirs publics d’encourager le développement de l’épargne retraite supplémentaire. Cette orientation pourrait se traduire par un renforcement des incitations fiscales liées au PER, notamment pour les versements issus de l’épargne salariale.

Parallèlement, la recherche de recettes fiscales pourrait conduire à un durcissement de certains avantages, particulièrement pour les contribuables les plus aisés. La question des plafonds de déductibilité fait régulièrement l’objet de débats lors des discussions budgétaires.

Dans ce contexte évolutif, plusieurs recommandations pratiques peuvent être formulées pour les différents acteurs concernés :

Pour les entreprises

Les employeurs gagneraient à intégrer pleinement la dimension fiscale dans leur politique d’épargne salariale. La mise en place d’un PER collectif avec des conditions d’abondement attractives peut représenter un argument de poids dans la politique de rémunération globale.

L’information des salariés constitue un enjeu majeur. De nombreuses études montrent que les dispositifs d’épargne entreprise restent sous-utilisés par méconnaissance de leurs avantages fiscaux. Les directions des ressources humaines devraient développer des outils pédagogiques permettant aux collaborateurs d’appréhender ces mécanismes complexes.

La négociation des accords d’intéressement et de participation devrait intégrer une réflexion sur l’articulation avec le PER d’entreprise. Des formules de placement par défaut bien pensées peuvent maximiser l’efficacité fiscale des dispositifs pour l’ensemble des parties prenantes.

Pour les salariés

Face à la complexité des choix fiscaux, les salariés ont tout intérêt à adopter une approche méthodique :

  • Évaluer précisément leur situation fiscale actuelle et leurs perspectives d’évolution
  • Définir clairement leurs objectifs patrimoniaux à court, moyen et long terme
  • Identifier les cas de déblocage anticipé susceptibles de correspondre à leurs projets futurs
  • Comparer systématiquement les avantages respectifs du PEE et du PER pour chaque type de versement

La consultation d’un conseiller en gestion de patrimoine peut s’avérer judicieuse pour les situations complexes, notamment pour les cadres dirigeants dont la rémunération comporte une part variable significative.

Les représentants du personnel ont également un rôle à jouer dans la diffusion de l’information et la négociation de dispositifs adaptés aux besoins spécifiques des salariés de l’entreprise. Leur connaissance du terrain peut contribuer à l’élaboration de solutions sur mesure.

La digitalisation des outils de gestion de l’épargne salariale offre aujourd’hui aux salariés une plus grande autonomie dans le pilotage de leurs investissements. Les simulateurs fiscaux intégrés aux plateformes des gestionnaires permettent de visualiser concrètement l’impact des choix effectués.

À l’heure où les incertitudes sur l’avenir du système de retraite par répartition se multiplient, la maîtrise des aspects fiscaux de l’épargne retraite supplémentaire devient un enjeu patrimonial majeur pour tous les actifs. La combinaison optimale entre PER et PEE constitue l’un des leviers les plus efficaces pour préparer financièrement sa retraite tout en optimisant sa fiscalité présente.

Les évolutions législatives à venir devront être surveillées attentivement, car elles pourraient modifier substantiellement l’équilibre entre ces différents dispositifs. La veille fiscale devient ainsi une nécessité tant pour les entreprises que pour les salariés soucieux d’optimiser leur stratégie d’épargne à long terme.